24 août 2021

9 août 2021 : rien

Par Philippe

« Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées. Et cela fait venir de coupables pensées. »
Le Tartuffe ou l’imposteur, Molière

Et pendant ce temps-là, les libraire-esse-s attaquent au cuter les cartons d’office, s’émerveillent comme des enfants en découvrant les belles couvertures pleines de couleurs et rangent sur les tables les nouveautés, émoustillé-e-s par l’odeur enivrante de l’encre et du papier.

Et pendant ce temps-là, le Syndicat national de l’édition se félicite que « La récente reconnaissance des librairies en 2021 comme des commerces essentiels, d’une certaine manière, marque l’aboutissement de la loi Lang. »

Et pendant ce temps-là, le Syndicat de la Librairie française conseille : « De manière générale, dans cette phase de reprise de l’épidémie et afin d’éviter une nouvelle mise à l’arrêt de nombreuses activités qui les affecterait directement ou indirectement, les librairies sont plus que jamais appelées à respecter l’ensemble des mesures sanitaires (gestes barrières, …). » Remarque : une erreur de plus en plus fréquente est d’utiliser les point de suspension à la place de et cetera (etcétéra), abrégé etc. C’est etc. qu’il aurait fallu écrire après vos « gestes barrières ». A moins que vous vouliez signifier que votre phrase a été interrompue, par exemple, par l’intervention d’une tierce personne, ou bien parce que vous vouliez représenter l’hésitation qui est la vôtre ou bien encore parce que vous vouliez suggérer des grossièretés (pass sanitaire ?) que vous ne pouviez vous résoudre à écrire explicitement.

Et pendant ce temps-là, c’est chez Raoult que Gallimard voit de la folie, c’est chez Gallimard que Ariane Chemin et Marie-France Etchegoin traitent Raoult de mégalomane.

Et pendant ce temps-là, Maylis de Kérangal va chez le dentiste.

Pendant ce temps-là, Claudie Desmarteau « nous renvoie aussi à des questions existentielles : les désirs refoulés, la hantise du vieillissement, la nécessité de prendre des risques… »

Et pendant ce temps-là, Daphné B., « poète et féministe. (…) est dans son lit et remplit online son panier Sephora. Elle se demande pourquoi elle dilapide son argent et son temps pour acheter des fards, rouges, poudres. »

Et pendant ce temps-là, Charles Dantzig nous parle, à la première personne du singulier, d’un « jour d’octobre où j’entrepris l’écriture de ce livre, je portais un polo de laine noire, un jean noir, des souliers à lacets en cuir noir à gros grain, un blouson de daim boutonné par le seul bouton du milieu, un foulard en soie blanc, rose et vert, un manteau beige à fins chevrons, et tout cela ne m’allait pas trop mal. »

Et pendant ce temps-là, Maria Pourchet souhaite qu’ « il leur arrive quelque chose », à ses personnages.

Et pendant ce temps-là, Télérama nous dit que « Angot ne consent pas. C’est ce qui la rend unique. »

Et (mais ?) pendant ce temps-là, il paraît que « Thomas B. Reverdy réveille le roman d’aventures en lui offrant une dimension crépusculaire et contemporaine puisque désormais les glaciers fondent, les ours meurent et l’homme a irrémédiablement tout abîmé. » On ira peut-être voir si l’aventure est aussi puérile et caricaturale que le laisse entendre la 4e de couverture.

Mais, pendant ce temps-là, Lydie Salvayre pose de bonnes questions : « Est-il insensé de considérer que la littérature n’est pas lettre morte, parure de cheminée, boniment inutile, mais plutôt lettre vive, ardente, expérience intime qui bouleverse la vie ? » On lira ses réponses, on y reviendra ici (peut-être).

Mais, pendant ce temps-là Morgan Sportès « croque (…), dans un style hyperréaliste – et sombrement ironique toujours – une galerie de portraits inquiétants : le visage d’un pays mal connu qui est le nôtre pourtant, la France du XXIe siècle mondialisé. » On lira ses portraits, on y reviendra ici (peut-être).

Mais, pendant ce temps-là, Sorj Chalandon pose de bonnes questions : « – Qu’as-tu fait sous l’Occupation ? » On lira ses réponses, on y reviendra ici (peut-être).

Et pendant ce temps-là, je me demande, quand il me prendrait l’envie d’aller écouter l’un ou l’autre de ces écrivains, si les libraires me refuseraient l’entrée, comme je suis dépourvu de « pass sanitaire » ?

Et pendant ce temps-là, je me demande si les écrivains vont accepter de signer leurs ouvrages là où le pass sanitaire sera exigé ?

Fi de l’ironie ! Non, je ne me le demande pas.

Extrait du journal d’un écrivain retrouvé dans les décombres de notre époque : « 9 août 2021 : Rien ».

Extrait du journal d’un éditeur retrouvé dans les décombres de notre époque : « 9 août 2021 : Rien ».

Extrait du journal d’un libraire retrouvé dans les décombres de notre époque : « 9 août 2021 : Rien ».

Ils étaient tous en vacances.

*

Raoult. Une folie française, Ariane Chemin, Marie-France Etchegoin, Gallimard
Canoës, Maylis de Kérangal, Collection Verticales, Gallimard
La Vie d’Andrés Mora, Claudine Desmarteau, Gallimard
Maquillée, Daphné B., Grasset
Théories de théories, Charles Dantzig, Grasset
Feu, Maria Pourchet, Fayard
Climax, Thomas B. Reverdy, Flammarion
Rêver debout, Lydie Salvayre, Seuil
Les Djihadistes aussi ont des peines de cœur, Morgan Sportès, Fayard
Enfant de salaud, Sorj Chalandon,Grasset

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