Pirouette, cacahuète
Il était un petit homme
Pirouette, cacahuète
Il était un petit homme
Qui avait une drôle de maison
Qui avait une drôle de maison
La maison est en carton
Pirouette, cacahuète
La maison est en carton
Les escaliers sont en papier
Les escaliers sont en papier
Si vous voulez y monter
Pirouette, cacahuète
Si vous voulez y monter
Vous vous casserez le bout du nez
Vous vous casserez le bout du nez
Dans la maison du petit homme d’aujourd’hui, où les volets claquent au vent, la porte est toujours ouverte, et la lumière y brille le jour et la nuit. Mais, l’opportun qui voudra y entrer s’y cassera toujours le nez.
Heureusement que mon intérêt pour la psychologie et la psychanalyse est assez restreint parce que je serais capable, avec mon épée politique et mon armure littéraire de vous découper en confettis la maison de ce petit homme qui n’y peut mais. Et, malheureusement, c’est exactement ce que je suis en train de faire.
Mon éducation (politique) m’a appris deux choses, m’a donné deux outils avec lesquels je tente de soulever le monde. Enfin, ce ne sont pas des outils avec lesquels, on peut soulever le monde, je m’en suis vite rendu compte. Deux outils très bruts que la littérature a dégrossis et pour lesquels la femme a servi de liquide de coupe pour éviter la surchauffe, permettant ainsi d’en prolonger la durée de vie. Je vois déjà des amateurs de psychanalyse se frotter les mains à la lecture de cette dernière phrase. Mon machiavélisme m’en a suggéré l’idée, la tournure et les métaphores. C’est cadeau ! Pour rester avec ces amateurs (et peut-être y aura-t-il des professionnels aussi ?), je dois confesser que dans ce petit homme de la comptine, j’entends tout de suite Wilhelm Reich et son Écoute, petit homme, une adresse, une diatribe même contre l’individu moyen, médiocre même, que nous serions presque tous devenus, et qui aurait pour seules facultés de faire son propre malheur et surtout de s’ingénier à faire le malheur de tous. Plus on est de fous, plus on souffre. Les mots de Reich ne pouvaient que me plaire car j’avais en moi ce désir de ne pas devenir un petit homme, j’étais mu par une ambition démesurée qui était de simplement foutre le monde cul-par-dessus-tête. Rien que ça.
« Car le grand homme se distingue en ceci de toi qu’il ne considère pas comme le but suprême de la vie d’amasser de l’argent, de marier ses filles à des hommes d’un haut rang social, de faire carrière dans la politique ou d’obtenir des titres universitaires. Parce qu’il n’est pas comme toi, tu le qualifies de « génie » ou de « détraqué ». Lui, pour sa part, est tout disposé à admettre qu’il n’est pas un génie mais simplement un être vivant. Tu le dis « peu sociable » parce qu’il préfère ses études, ses méditations et son travail de laboratoire au bavardage de tes réunions mondaines. Tu le traites de « fou » parce qu’il dépense son argent en recherches scientifiques au lieu d’acheter comme toi des obligations et des actions. Tu te permets, petit homme, aveuglé par ta dégénérescence incommensurable, d’appeler « anormal » un homme franc et simple, parce que tu te prends pour le prototype de l’homme normal, pour l’ homo normalis. »
J’hésitais dans les moyens pour y parvenir. On y revient encore, on y reviendra toujours : la poésie ou la politique ? La dame de Hugo dans les vers qui suivent et que je faisais miens étaient une de ces deux-là mais laquelle :
Madame, sous vos pieds, dans l’ombre, un homme est là – Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile; – Qui souffre, ver de terre amoureux d’une étoile; – Qui pour vous donnera son âme, s’il le faut; – Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut.
Je me savais vers de terre, je venais du plus bas et de là on ne peut rêver que du plus haut. Un fils de prolétaire qui devait craindre le bourgeois et rêver au grand Soir qui serait constellé d’étoiles. L’étoile n’est pas une menace pour le vers comme l’est le coq en pâte qui gratte la terre. Ou bien être le poète qui rêve de « fixer des vertiges », qui n’aime que « les nuages, les nuages qui passent là-bas » (Baudelaire). Être Rimbaud ou n’être rien. Mais, être Rimbaud, c’était abandonner, comme il le fit de la poésie.
Ambition démesurée ! Quand tu nous tiens… Ambitions démesurées… Ambitions qui m’ont poursuivi toute ma vie et qui m’ont jeté à période rapprochée dans les affres de l’insatisfaction. (Ah ! Comme j’aurais été heureux si j’avais écouté ma grand-mère qui espérait que je devinsse instituteur, comme on disait à l’époque, le plus beau métier du monde pour elle.)
J’avais donc besoin de l’invective de Reich car, certes, s’il disait que le petit homme pouvait sortir de sa petitesse, je ne devais pas oublier cependant que le monde n’avait pas fini de me modeler et celui-ci pouvait achever sa tâche avec de la mauvaise glaise. Et, c’est là que j’en viens enfin à ces deux outils.
Les voici : le monde t’est hostile, le monde n’est pas tel qu’il veut bien se montrer. Je n’allais y rencontrer qu’ennemis et menteurs, n’y recevoir que des coups et en traître, qui plus est ! Pourtant, j’y partais la fleur au fusil dans le monde, persuadé que j’allais trouver à l’Université, ces étudiants exaltés dont parle Jules Vallès. J’avais découvert chez lui la possible jonction entre politique et littérature. L’Insurgé fut le premier livre que j’achetai ! Et pourtant, je laissai tomber l’université après le premier semestre. Devant ma déception, mon grand ami de l’époque me révéla toute ma bêtise : « Comment pouvais-tu croire que les étudiants seraient différents des lycéens ? Ce sont les mêmes ! ». Je lui répondis que c’était à cause de Vallès. Je croyais à la vérité des livres, de ceux qui m’enflammaient. Je croyais que la littérature était universelle, intemporelle, éternelle. Alors qu’elle ne parlait que de cela dans l’Insurgé, elle me faisait oublier l’Histoire parce que je croyais, moi, petit homme, « tenir le pas gagné », être de cette race : ne disait-on pas que Rimbaud aurait participé à la Commune de Paris ? Le poète sur les barricades, il ne pouvait pas y avoir plus belle image, le poète qui tombe de la barricade sous les balles, il ne pouvait pas y avoir de plus beau destin.
Je me suis éloigné du sujet que je voulais traiter. Voilà où mène la littérature : à la dérive. A la liberté. « Hé ! Si ici je n’étais pas libre alors où le serais-je ! », s’exclame le dilettante que je suis. Elle a bon dos, la liberté parfois. J’aimerais toucher à tout, tout connaître. Et c’est impossible aujourd’hui, alors « A quoi bon ? ». Je veux trouver la source mais je m’égare dans l’un ou l’autre des méandres, je prends un affluent et l’affluent de l’affluent. Et, je suis heureux quand je ne sais plus où je me trouve. Je suis l’homme des velléités, la velléité fait homme, pire qu’un velléitaire : un velléitiste. L’antimoderne par excellence qui ne veut surtout pas être un spécialiste, que les soi-disant experts font rire, qui refuse d’attraper l’être humain par un seul bout, de le regarder à travers des lunettes déformantes, de le découper en morceaux surtout. Les soi-disant sciences humaines ont recréé un panthéon où règne selon les époques l’un ou l’autre de ces petits dieux. Aucun ne reste longtemps sur le trône. On a un problème aux alentours du méridien zéro : on ne sait plus à quoi l’être humain doit ressembler, on a détruit la créature de Dieu et maintenant on la dépèce et chacun se paie sur la bête abattue et les docteurs Frankenstein, des charognards d’un genre un peu spécial car ils participent aussi à la mise à mort, vont nous en modeler une belle créature transhumaniste.
Le petit homme est un amalgame de confettis que n’importe quelle brise désagrège, que n’importe quelle salive cimente. Le crachat est sa colle toute dédiée. Mais, il sèche très vite et les confettis attendent les postillons du prochain hallali pour s’agglomérer à nouveau. Ils sont accrochés à leur peur comme une tique sur son hôte. Ils ne veulent pas en démordre. Depuis deux ans, ils ont de quoi se goinfrer. La tique est insatiable elle peut ingurgiter jusqu’à plus de six cent fois son poids. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’homme. Mais, tout est déjà prévu. Les confettis sont facilement transformables en octets. Dans une suite de zéros et de uns, on peut se transformer aisément en super héros. Ah ! Laissez-moi retourner dans les bois !
Magnifique Philippe
Merci pour cet enchantement plein de lucidité
La bise