Dans mes rêves les plus fous 2
La rencontre, un début de portrait
Résumé de l’épisode précédent
Où l’on découvre que M. Wallendorff, maire de Givet, a réalisé l’au-delà de ses rêves les plus fous pour la plus grande joie de ses administrés. Néanmoins, Il faudrait faire un sondage pour en être sûr car les échos que j’en ai, ici ou là, permettent d’en douter. Mais, me direz-vous, les gens ne sont jamais contents ! Et dans les petites villes de province, il est souvent difficile de savoir où se situe la frontière entre le personnel et le politique. Fait-on jamais vraiment de la politique au niveau communal ?
Ce résumé m’oblige à un aveu : si je défends le bilan de M. Wallendorff, c’est parce que j’ai nourri quelques rancœurs à son encontre, j’ai gardé deux dents (pas de sagesse) contre lui : une dent politique et une dent personnelle, dents bien émoussées que les événements récents, intimes et historiques, ont réaffûtées. J’essaie de modérer, malgré que j’en aie, mes envies de mordre parce que si la vengeance est un plat qui se mange froid, le plat est bien vide aujourd’hui, parce que l’histoire ne repasse pas les plats, parce qu’enfin avec deux seules dents… Je suis conscient de mon impuissance et il serait bien vain d’épuiser le peu d’énergie qu’il me reste pour détruire des châteaux en Espagne plutôt que de la consacrer à aménager ma petite hutte.
En regagnant mes pénates, j’emmenais avec moi la créature des tanières humides et l’incendiaire, un individu qui ne sait pas choisir entre Andréï Roublev et Edmond Dantès, un être mi-homme, mi-chimère. Je rêvais de cellule (celle du Parti, celle du moine, celle du criminel) et de salle de bal chez la duchesse comme il y en a dans Balzac ; dans le salon d’une simple baronne, je n’aurais pas trouvé mon compte. La maladie a eu raison de moi – du moins pour quelque temps – et m’oblige à vivre comme un reclus, ce reclus qui vous envoie ces bouteilles à la mer.
La politique et la littérature ont été mes deux écueils, les Charybde et Scylla à moi qui n’ai pas le pied marin, et mes deux va-tout. J’ai fait souvent tapis à défaut de faire table rase.
J’ai rencontré M. Wallendorff dans une salle de classe quelques années avant qu’il ne vienne m’apostropher, menaçant, l’index pointé vers moi dans un bureau de vote.
Huit années séparent ces deux faits.
En 1980, nous fîmes connaissance alors qu’il était professeur de Mathématiques et que j’étais élève de Sixième. Dans mes souvenirs, je vois un être austère comme un théorème, sans fantaisie, qui installait distance et soufflait froideur entre lui et nous, les élèves, distance que nous n’aurions pas même eu la velléité de franchir, froideur où nous ne risquions pas le bout de la langue.
J’aurais certainement oublié M. Wallendorff s’il n’y avait pas eu ces rencontres ultérieures entre nous. Peut-être me serais-je souvenu de cette blouse blanche impeccable, immaculée, scientifique qu’il portait au dessus d’une chemise avec cravate boutonnée jusqu’au col parce que cet ensemble détonnait avec les tenues plus négligées des autres professeurs ?
Je n’ai eu d’atomes crochus avec les Mathématiques que lorsqu’elles m’apparaissaient comme un jeu, et avec M. Wallendorff, il était hors de question de s’amuser. Peut-être parce qu’il ne s’amusait pas lui-même ? On me dit un jour que celui qui devenait professeur de Mathématiques au collège était soit médiocre, soit frustré. On ne se lançait pas dans les études scientifiques sans avoir de l’ambition. Et la suite prouva que M. Wallendorff n’en manquait pas. J’imaginais pendant un moment qu’un malheur dans sa famille l’avait contraint à arrêter ses études. On avait besoin de lui pour faire chauffer la marmite, et voilà comment il était devenu professeur au collège. J’ai tendance à chercher le mal extrinsèque, l’accident cruel dans la vie qui entraîne une personne à ne plus écouter que ses démons. Je ne peux que spéculer dans son cas, et à quoi bon ? J’avais comme option d’en faire un personnage de roman auquel j’aurais pu greffer une vie intime, dont j’aurais pu abuser au gré de mon imagination, de mes fantasmes, mais aussi de mes connaissances du « réel ». Mais, le personnage public suffit à l’objectif que je me suis fixé. Et il m’aurait fallu changer le nom, changer de lieu, etc. Un avocat me le conseillerais vivement. « Tu finiras au Givet de Montfaucon. »*, m’écrit un ami plaisamment. Je ris encore de ce bon mot. On verra si je ris encore lorsque j’aurai besoin d’écrire une plaidoirie. J’ai déjà payé plus d’une fois ma fâcheuse propension à viser mon propre pied quand j’appuie sur la détente. Je suis le scorpion qui demande à la grenouille si elle veut bien lui faire traverser la rivière sur son dos…
Pour en revenir à M. Wallendorff, il n’est pas exclu qu’il fût et médiocre et frustré. La frustration peut naître quand on découvre ses propres limites, et c’est ainsi que beaucoup se lancent en politique pour effacer l’affront subi. Ils refusent de se soumettre au principe de réalité, celui-ci qui nous rend capable « d’ajourner toute satisfaction pulsionnelle. » La politique est un terrain de jeu où l’on retrouve tous les ingrédients qui font les délices de l’enfance, ce moment où règne l’immédiat, où on ne sait conjuguer que le présent. Hier amis, demain ennemis, amis à la tribune, ennemis dans les couloirs, on y joue aux gendarmes et aux voleurs à tour de rôle, on joue à chat, à « un, deux, trois soleils » et gagne celui qui trichera le plus, qui trichera le mieux. Rien ne s’y fait de sérieux et il n’y a que le spectateur pour y croire, pour s’y leurrer comme on se leurre trop souvent en ne prenant pas l’enfant au sérieux.
(à suivre)
* Jeu de mots avec le Gibet de Montfaucon. Lieu d’exécution royal et parisien, « fourches patibulaires » comme on les appelait alors, érigées au XIIe siècle.
J’ai des amis qui me souhaitent du bien et ce la veille même de mon anniversaire !
Cliquez ici pour en savoir plus sur ce lieu de villégiature très prisé à son époque.
PS : plusieurs d’entre vous m’ont fait le plaisir de réagir à mon récit. Cela m’encourage et m’inspire. Je comptais inclure mes réponses dans le récit lui-même. Mais, j’ai changé d’avis afin de ne pas ajouter de la digression aux déjà nombreux écarts que je me permets de faire. Je publierai ici, en parallèle, ce dialogue engagé avec vous.