11 août 2021

Objectif lune

Par Philippe

– Revenons, dit Grandgousier, à notre propos.
– Lequel, dit Gargantua, chier ?
– Non, dit Grandgousier, mais se torcher le cul.
François Rabelais, Gargantua

Tout le monde se souvient de la ruée sur le papier-toilette qu’avait entraînée l’annonce du premier confinement. Il donna l’opportunité aux « gens qui réussissent » d’afficher une fois de plus le mépris qu’ils nourrissent pour « les gens qui ne sont rien ». Je n’y vois pas un hasard si cette prose méprisante délivrée par Macron le fut alors qu’il inaugurait le plus grand incubateur de start-up du monde initiée par son copain Xavier Niels, un endroit dédié au numérique, au soi-disant immatériel. Il ne disait rien d’autre que ce que disait Laurent Alexandre quand il parlait des « Dieux » et des « inutiles ». Nous sommes l’esprit supérieur, vous êtes la matière inférieure. Nous buvons du nectar pendant que vous chiez de la merde. Les gens qui réussissent choisissent l’immatériel, ceux qui ne sont rien sont empêtrés dans leur matière (fécale). La revanche aussi de la philosophie idéaliste sur le matérialisme historique. Vous chantiez : « Nous ne sommes rien, soyons tout », hé bien, c’est fini, ce temps-là, à jamais, vous pouvez bien danser maintenant. C’est l’affirmation d’un anti-humanisme, d’un fascisme qui tente de se cacher sous le nom de transhumanisme, comme il se dissimule depuis des décennies en ayant dérobé et repris à son compte le beau mot de progrès. Et ces voleurs ne sont pas des Prométhée qui veulent offrir la connaissance aux hommes quitte à en payer le prix fort, et en prenant le risque que le feu brûle les doigts de celui qui s’y frotte. Non, il s’agit de s’accaparer le feu, de le garder pour soi, d’être ainsi encore plus fort que les dieux qui eux n’ont pas su protéger leur bien. Leur mégalomanie n’a pas d’équivalent dans l’histoire, à mon avis, parce que contrairement à leurs prédécesseurs il y croient. Ils y croient parce qu’on les entretient dans leur immaturité. Le matriarcat dans lequel ils ont grandi y a contribué. Leur maman – je dis bien leur maman et non leur mère –, les a toujours protégés et les protège encore des hommes. Ne va pas dehors, là est le danger. Reste dans mes jupons. Cette gifle, c’est bien fait pour toi, ça t’apprendra à oublier que tu es et restera mon bébé, que le monde est méchant et grouille de vilains hommes. Tu n’es qu’un morceau de moi-même, tu ne peux pas couper le cordon ombilical qui te relie à la matrice, ce mutant entre la vache à lait et le vampire. Redeviens ce que tu aurais dû toujours être quand je pensais à toi avant même que tu naisses, avant même que tu sois conçu, redeviens une projection de moi-même. Une idée. Une virtualité.
Regardez-les s’envoyer en l’air, ces petits enfants apeurés par la mort qui ont pour nom Jeff Bezos, Richard Branson ou Elon Musk. Pourquoi s’arracher à l’attraction terrestre ? Que vont-ils chercher là-haut si ce n’est la conviction que là est leur place, cette place vacante depuis que les dieux ont été éjectés de l’orbite de la terre ? Et voilà ceux que l’on voudrait nous obliger à admirer, les héros, les Titans contemporains… Des mégalomanes qui pensent que leur fortune qui aujourd’hui, croient-ils, n’est ni sonnante et trébuchante est le signe de leur élection.

Je me souviens de ce petit cartouche en plâtre et en relief qui était accroché dans les toilettes chez ma grand-père. « Pape, empereur ou roi ci-dessous sont tous pareils à moi », affirmait-il. Ci-dessous était assis sur les toilettes (sur le trône), le pantalon baissé, un personnage de basse extraction, mi prolo mi paysan. Le dessin était aussi grossier que le personnage. Je pense à ce cartouche à chaque fois que je suis pris de bouffées délirantes de vanité. Il est pour moi l’équivalent populaire et en image de cette pensée de Blaise Pascal même s’il manque à ce cartouche une des deux hypothèses posées par le philosophe :

« S’il se vante, je l’abaisse

S’il s’abaisse, je le vante

Et le contredis toujours

Jusques à ce qu’il comprenne

Qu’il est un monstre incompréhensible. »

Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir récupéré ce patrimoine familial à la mort de mes grands parents. J’en aurais tiré un moule et à chacun des cuistres, des Titans de pacotille, des tigres de papier, j’aurais remis une reproduction de ce cartouche comme eux remettent des Légions d’honneur à ceux qui savent servir leur suffisance absconse. Pour eux, il n’est pas besoin des deux hypothèses de Pascal : jamais ils ne s’abaissent.

Mais, j’en reviens à cette ruée sur le papier-toilette. J’ai moi-même regardé cette ruée avec de la condescendance. Et, j’oubliais le proverbe chinois que j’ai repris dans un texte précédent : « Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt ». J’oubliais que celui qui montrait du doigt le cul des pauvres, leur lune, n’avait rien d’un sage. Pourquoi montraient-ils ces images ? Pourquoi ce focus sur l’anus ? Parce que le pauvre, celui qui n’est rien, n’est rien d’autre qu’un trou du cul. Regardez-les, ils sont incapables de sortir de leur condition, le trou du cul ne peut s’intéresser qu’à son trou du cul. Mais, répliquons-leur : au moins, les trous du cul, – contrairement aux Macron, aux Bezos, etc., ceux qui n’ont pas un Pascal pour leur donner une petite leçon -, ceux-là, moi et les autres ont gardé le cul propre. Dans cette préoccupation, j’y vois l’incarnation de l’esprit français, GAULOIS !, que Rabelais, l’un des pères du français moderne, du langage fleuri et inventif, a su porter jusqu’au génie. Nous vivons une nouvelle bataille entre les Papimanes et les Papivores. C’est pourquoi je voudrais dédier à tous ceux-là qui pètent plus haut que leur cul, à ces singes qui montent au cocotier sans se préoccuper de savoir s’ils ont les fesses propres, aux Buzz l’Éclair qui volent « Vers l’infini et au-delà » débourrant des tonnes de merde dans l’atmosphère, autant que des millions de Louis de Funès et de Jean Carmet après une bonne soupe aux choux, c’est pourquoi, je voudrais leur dédier cette étude rabelaisienne « fondementale ». Dans une version « modernisée ».


Comment Grandgousier connut l’esprit merveilleux de Gargantua à l’invention d’un torche-cul

Sur la fin de la cinquième année, Grandgousier, retour de la défaite des Canarriens, vint voir son fils Gargantua.

Alors il fut saisi de toute la joie concevable chez un tel père voyant qu’il avait un tel fils et, tout en l’embrassant et en l’étreignant, il lui posait toutes sortes de petites questions puériles.

Et il but à qui mieux mieux avec lui et avec ses gouvernantes auxquelles il demandait avec grand intérêt si, entre autres choses, elles l’avaient tenu propre et net.

Ce à quoi Gargantua répondit qu’il s’y était pris de telle façon qu’il n’y avait pas dans tout le pays un garçon qui fût plus propre que lui.

« Comment cela ? dit Grandgousier.

– J’ai découvert, répondit Gargantua, à la suite de longues et minutieuses recherches, un moyen de me torcher le cul. C’est le plus seigneurial, le plus excellent et le plus efficace qu’on ait jamais vu.

– Quel est-il ? dit Grandgousier.

– C’est ce que je vais vous raconter à présent, dit Gargantua.

Une fois, je me suis torché avec le cache-nez de velours d’une demoiselle, ce que je trouvai bon, vu que sa douceur soyeuse me procura une bien grande volupté au fondement ;

une autre fois avec un chaperon de la même et le résultat fut identique ;

une autre fois avec un cache-col ;

une autre fois avec des cache-oreilles de satin de couleur vive, mais les dorures d’un tas de saloperies de perlettes qui l’ornaient m’écorchèrent tout le derrière.

Que le feu Saint-Antoine brûle le trou du cul à l’orfèvre qui les a faites et à la demoiselle qui les portait.

« Ce mal me passa lorsque je me torchai avec un bonnet de page, bien emplumé à la Suisse.

« Puis, alors que je fientais derrière un buisson, je trouvai un chat de mars et m’en torchai, mais ses griffes m’ulcérèrent tout le périnée.

« Ce dont je me guéris le lendemain en me torchant avec les gants de ma mère, bien parfumés de berga-motte.

« Puis je me torchai avec de la sauge, du fenouil, de l’aneth, de la marjolaine, des roses, des feuilles de courges, de choux, de bettes, de vigne, de guimauve, de bouillon-blanc (c’est l’écarlate au cul), de laitue et des feuilles d’épinards (tout ça m’a fait une belle jambe !), avec de la mercuriale, de la persicaire, des orties, de la consoude, mais j’en caguai du sang comme un Lombard, ce dont je fus guéri en me torchant avec ma braguette.

« Puis je me torchai avec les draps, les couvertures, les rideaux, avec un coussin, une carpette, un tapis de jeu, un torchon, une serviette, un mouchoir, un peignoir ; tout cela me procura plus de plaisir que n’en ont les galeux quand on les étrille.

– C’est bien, dit Grandgousier, mais quel torche-cul trouvas-tu le meilleur ?

– J’y arrivais, dit Gargantua ; vous en saurez bientôt le fin mot.

Je me torchai avec du foin, de la paille, de la bauduffe, de la bourre, de la laine, du papier.

Mais Toujours laisse aux couilles une amorce Qui son cul sale de papier torche.

– Quoi ! dit Grandgousier, mon petit couillon, t’attaches-tu au pot, vu que tu fais déjà des vers ?

– Oui-da, mon roi, répondit Gargantua, je rime tant et plus et en rimant souvent je m’enrhume.

Ecoutez ce que disent aux fienteurs les murs de nos cabinets :

Chieur,

Foireux,

Péteur,

Breneux,

Ton lard fécal

En cavale

S’étale

Sur nous.

Répugnant,

Emmerdant,

Dégouttant,

Le feu saint Antoine puisse te rôtir

Si tous

Tes trous

Béants

Tu ne torches avant ton départ.

« En voulez-vous un peu plus ?

– Oui-da, répondit Grandgousier.

– Alors, dit Gargantua :

En chiant l’autre jour j’ai flairé

L’impôt que mon cul réclamait :

J’espérais un autre bouquet.

Je fus bel et bien empesté.

Oh ! si l’on m’avait amené

Cette fille que j’attendais

En chiant,

J’aurais su lui accommoder

Son trou d’urine en bon goret ;

Pendant ce temps ses doigts auraient

Mon trou de merde équipé,

En chiant.

« Dites tout de suite que je n’y connais rien !

Par la mère Dieu, ce n’est pas moi qui les ai composés, mais les ayant entendu réciter à ma grand-mère que vous voyez ici, je les ai retenus en la gibecière de ma mémoire.

– Revenons, dit Grandgousier, à notre propos.

– Lequel, dit Gargantua, chier ?

– Non, dit Grandgousier, mais se torcher le cul.

– Mais, dit Gargantua, voulez-vous payer une barrique de vin breton si je vous dame le pion à ce propos ? – Oui, assurément, dit Grandgousier.

– Il n’est, dit Gargantua, pas besoin de se torcher le cul s’il n’y a pas de saletés.

De saletés, il ne peut y en avoir si l’on n’a pas chié.

Il nous faut donc chier avant que de nous torcher le cul !

– Oh ! dit Grandgousier, que tu es plein de bon sens, mon petit bonhomme ; un de ces jours prochains, je te ferai passer docteur en gai savoir, pardieu !

Car tu as de la raison plus que tu n’as d’années.

Allez, je t’en prie, poursuis ce propos torcheculatif.

Et par ma barbe, au lieu d’une barrique, c’est cinquante feuillettes que tu auras, je veux dire des feuillettes de ce bon vin breton qui ne vient d’ailleurs pas en Bretagne, mais dans ce bon pays de Véron.

– Après, dit Gargantua, je me torchai avec un couvre-chef, un oreiller, une pantoufle, une gibecière, un panier (mais quel peu agréable torche-cul !), puis avec un chapeau.

Remarquez que parmi les chapeaux, les uns sont de feutre rasé, d’autres à poil, d’autres de velours, d’autres de taffetas.

Le meilleur d’entre tous, c’est celui à poil, car il absterge excellemment la matière fécale.

Puis je me torchai avec une poule, un coq, un poulet, la peau d’un veau, un lièvre, un pigeon, un cormoran, un sac d’avocat, une cagoule, une coiffe, un leurre.

« Mais pour conclure, je dis et je maintiens qu’il n’y a pas de meilleur torche-cul qu’un oison bien duveteux, pourvu qu’on lui tienne la tête entre les jambes.

Croyez-m’en sur l’honneur, vous ressentez au trou du cul une volupté mirifique, tant à cause de la douceur de ce duvet qu’à cause de la bonne chaleur de l’oison qui se communique facilement du boyau du cul et des autres intestins jusqu’à se transmettre à la région du cœur et à celle du cerveau.

Ne croyez pas que la béatitude des héros et des demi-dieux qui sont aux Champs Élysées tienne à leur asphodèle, à leur ambroisie ou à leur nectar comme disent les vieilles de par ici.

Elle tient, selon mon opinion, à ce qu’ils se torchent le cul avec un oison ; c’est aussi l’opinion de Maître Jean d’Ecosse. »


PS 1 : à l’origine, je voulais écrire un texte sur Le Corps de la lettre de Bergounioux. Et, aussi étrange que cela puisse paraître pour ceux qui connaissent ce texte, c’est bien lui qui m’a inspiré ce qui précède. J’essaierai d’expliquer cela demain.

PS 2 : J’ai emprunté le texte et l’image du torche-cul rabelaisien à cette page :
https://www.point-fort.com/index.php/post/2012/12/07/908-le-torchecul-de-rabelais

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